Les week-end du 15 août ne sont pas toujours très heureux. Bouchons interminables, jours qui raccourcissent sensiblement, ambiance “fin de vacances” déprimante. Nos archivistes ont retrouvé des fragments d’une correspondance entre Dirty Henry et Joe Gantdelaine qui semble montrer que cette période de l’année peut se montrer tout autrement enthousiasmante.


St-Malo, le 15 août 2008, 04h00

Cher Joe Gantdelaine,

Je sors tout juste de la 1ère journée de la 19ème édition de la route du rock à St-Malo. Encore une fois le programme fut réjouissant.

Au palais du Grand Large, le concert inaugural fut une révélation. J’attendais certes beaucoup de la performance des Dodos mais mes espoirs les plus fous n’osaient imaginer tout ce que les Californiens ont su donner durant ce concert. À trois sur scène, les nouveaux rois annoncés de la folk-pop à tiroirs ont offert un spectacle plein de charme. Bâties sur des trios à géométrie variable reposant autour du trio guitare/batterie/clavier, les mélodies du groupe sont pourtant bien loin des standards du rock’n’roll. Car oui, on parle ici de guitares le plus souvent acoustiques, de batterie veuve joyeuse du couple grosse claire/charleston et de claviers vaporeux ni-80s, ni-technoïdes. Les morceaux du groupe sont eux des labyrinthes folk qui énivrent et euphorisent les pupilles sensibles à la pop sans nous engloutir sous l’avalanche des idées qui y fourmillent. Musique cérébrale et anti-papapoumesque, elle touche pourtant les sens de l’audience, bien en peine de voir ses oreilles refuser la traditionnelle sieste du palais. Le festival commençait fort.

La suite d’ailleurs allait être plus en contrebas du sommet dodoien. Je ne vous parlerai d’ailleurs même pas de Fuck Buttons par exemple (inaudible) qui ne mérite pas tant d’honneur, ni vraiment de Tindersticks (soporifique sur scène), de War On Drugs (plaisant mais anecdotique) ni de Cold War Kids et de Foals, chargés de conclure la soirée, ce qu’ils ont fait efficacement mais sans génie.

Le concert de The Dø, par contre, fut un bon moment de la journée. Chanteuse charismatique, aisance indéniable du duo qui n’a pas vraiment l’air de se prendre très au sérieux sur scène, le groupe offre une collection de bluettes pop diablement efficaces. Guitare sans distorsion pour un concert sans artifice, où les seules excentricités se trouvent dans le look de la chanteuse. Un concert frais comme du tropico (introuvable en 2008) !

Lorsque les Breeders sont entrés en scène, une ambiance “attention légende” s’est emparée du fort de St-Père. Certains concerts ratés sont désagréables : les artistes semblent s’en moquer, sont là pour faire le boulot mais le font mal. Le concert des Breeders fut le meilleur concert raté auquel j’ai pu assister. Rythmes irréguliers, son catastrophique, structures de morceaux bâclées, chants inaudibles mais pourtant, ça m’a plu. Kim Deal et ses sbires étaient simplement généreux mais brouillons, respectaient leur public mais n’étaient pas assez calés techniquement pour rendre une meilleure copie ce soir là. Cannonball, tube planétaire, fut joyeusement massacré mais je m’en plains pas. C’était un vrai moment de rock’n’roll !

— Dirty Henry


St-Malo, le 16 août 2008, 04h00

Cher Dirty,

Je suis content de voir que toi aussi, tu apprécies le festival maloin. Pour ma part, je dois avouer que The Dodos m’a aussi empêché de faire la sieste, tellement ce groupe était bon. En revanche, attention à ne pas dire n’importe quoi ! The Dø, c’était quand même plutôt nul. Moi, je sature ! Dans mes rêves, je me fais même agresser par des cahiers Clairefontaine. Non, sincèrement, The Dø, et sa chanteuse, parfaite imitatrice de Björk, dans le rôle de Camille (et vice-versa…), c’est un piège à bobos, un coup d’une saison (et heureusement !). Certes, leur musique est supportable. Mais c’est le moins que l’on puisse exiger d’un groupe qui a dû être marketé et maquillé tel une voiture voilée par les sbires de mister Nègre et de la grande industrie du disque. Bref, de la musique à entendre mais pas à écouter ! Pour le reste des concerts, je suis grosso modo d’accord avec toi !

Mais j’arrête de parler de la journée d’hier (et encore, je ne t’ai même pas parlé de mes démarches administratives pour entrer dans le Fort… démarches qui ont pris plus d’une heure, et qui m’ont fait raté War on Drugs qui, sur disque, m’avaient plutôt plu… Dommage !). Alors aujourd’hui, j’ai vu des choses pas mal, notamment au Palais du Grand Large. Écoute plutôt : Bowerbirds et Micah P. Hanson. Les premiers étaient plutôt mignons dans le rôle de duo folk bringuebalant. La rigueur du rythme n’était pas de mise, mais la fraîcheur bienvenue du groupe contrebalançait, à tout hasard, avec le professionnalisme tiède et sans saveur de, au hasard, The Dø… Le second artiste de la journée était un drôle de type, une sorte de Johnny Cash trentenaire qui ne s’assumerait pas. La guitare sous la gorge, le brave type enchaine des compos plutôt réussies et accrocheuses dans un style country pop qui en a vu et en verra bien d’autres (tout comme la pop tiédasse en a vu d’autres et en verra d’autres après The Dø). Les anecdotes entre les chansons sont bien drôles et on comprend que l’homme ne doit pas être quelqu’un de tout à fait sain et serein (j’en veux pour preuve sa défection de l’édition 2005, pour cause de frayeur en avion suite aux menaces terroristes).

Au fort, ensuite, le mauvais temps n’aura pas empêché la soirée d’être meilleure que celle de la veille, notamment parce que The Dø n’était pas à l’affiche ce soir. Pour cause de re-rappel pour Micah P. Hanson, j’ai malheureusement (ou heureusement, j’en sais rien…) raté No Age. Ainsi, Why? fut pour moi le premier groupe de la soirée. Et autant, j’avais eu du mal à accrocher lors de leur passage en 2006, autant cette fois, dans un style il est vrai, nettement moins hip hop, j’ai complètement succombé aux charmes des morceaux qui se révélaient progressivement plus complexes qu’au premier abord (ce qui n’était le cas d’aucun morceau de, au hasard, The Dø). Bref, la soirée démarrait sous de bons hospices, d’autant qu’ensuite, on annonçait mes groupes fétiches pour cette édition ! Tout d’abord, The Notwist, au crépuscule, entamèrent un show de rigueur (crépusculaire donc !), à base de chansons ici principalement de leurs 2 derniers albums. Le premier qualificatif qui me vient à l’esprit est “magique” (et non pas “merdique” que j’ai réservé à The Dø). En dépit de quelques problèmes de son (perso, j’ai eu du mal à entendre le chanteur), j’ai trouvé que les allemands transcendaient toutes leurs compositions, déjà merveilleuses sur disque. Ainsi, Pilot, méconnaissable durant la minute d’introduction est sortie grandie de son passage au live (ce qui était difficilement concevable a priori). Tous leurs titres excellents sur CD étaient fantastiques ce soir (au hasard, Neon Golden, ou le récent et déjà classique selon moi, Boneless). Et mon cher Dirty, je peux bien te l’avouer à toi : j’avais la larme à l’œil lors de Consequence.

Après un show aussi fort, je n’attendais plus rien de particulier de cette soirée. Tellement de sensations et d’émotions ! Et pourtant, il restait encore du lourd à passer. Par exemple, Sigur Rós ! Les Islandais, s’ils peuvent se montrer relativement soporifiques en studio (mais c’est du soporifique de qualité… pas comme, au hasard, The Dø), m’ont déjà prouvé lors d’un concert à l’Olympia il y a de ça 3 ans je crois, qu’ils envoyaient du bois en concert. Et ce fut encore le cas ce soir où, avec force cotillons et cors de chasse, les gens du nord, en plus d’avoir dans leur cœur le soleil qu’ils n’ont pas dehors, prouvent qu’ils savent faire dans l’entertainment rock’n’rollesque, au même titre que The Polyphonic Spree, ou I’m from Barcelona. Avec en plus, la nécessaire touche “trop trippant” conférée par des titres comme Svefn-g-englar. Bref, un spectacle qui alternait chansons rock et morceaux plus atmosphériques, le feu et la glace, chers à leur patrie où cohabitent neige, geysers et volcans.

Cher Dirty, comme j’ai déjà été très long dans cette lettre et que, j’imagine, tu n’as pas que ça à faire (t’es passé chez Décath’ pour acheter un pancho ? Ils ont prévu mauvais temps pour ce soir !), je serai bref pour te parler de la fin de soirée : d’abord, de Pivot, je dirai juste que c’est un groupe qui sert à rien (encore moins que, au hasard, The Dø, qui eux, permettent au moins de vendre des cahiers et des stylos…). Je ferai quand même un peu plus long pour Adam Kesher, très bon groupe français (contrairement à, au hasard, The Dø — je me permets de les dire français même s’il y a des finlandais dans le coup…), qui réchauffe la nuit à base de compos électro et d’interludes drôlatiques bien qu’incompréhensibles. Les Bordelais sont les rois du dancefloor malouin, et je regrette juste de ne pas avoir pris connaissance de leur musique avant le festival, ce qui m’aurait permis d’être pleinement dans la vibe ce soir.

J’ai déjà hâte d’être demain ! La dernière soirée risque d’être bien aussi (d’autant que The Dø n’est pas annoncé pour ce samedi soir).

Rock’n’rollement,

— Joe Gantdelaine


St-Malo, le 17 août 2008, 04h00

Cher Joe Gantdelaine,

Aujourd’hui, les concerts du palais étaient bien mais pas top. Phosphorescent est un grand colosse à la barbe blonde et aux cheveux hirsutes qui s’autosample à foison. Pas de bol, c’est pas le premier que je vois qui fait ça et il le fait pas spécialement mieux que les autres alors je ne m’en souviendrai plus dans deux semaines. Pareil pour Windsor for the Derby, qui a su attirer ma sympathie grâce à son nom, mais qui n’a pas su attirer mon intérêt avec sa musique.

Je n’ai pas bien vu Menomena pour cause de mangeage de sandwich mais j’ai pu constater que l’image mentale que je m’étais faite du groupe à cause de leur single, présent sur la compile distribuée par le festival et très inspiré par TV on the Radio, était assez éloignée de la vérité. Le retour des ex-Little Rabbits à St-Père laissait augurer le meilleur, on n’a pas été déçus. French Cowboy fut le concert le plus drôle du festival, à défaut d’être toujours convaincant musicalement.

LE concert de la journée fut celui de Girls in Hawaï. Quatre ans après leur première tournée, la troupe belge a pris de la bouteille et leur show s’est bonifié comme de la bonne Lambic. Les titres du second album permettent une variété des morceaux inédite pour le groupe et l’interprétation magistrale de certains titres (Flavor en tête) arrivait presque à rejoindre celle de Pilot de leurs voisins allemands de la veille.

Malheureusement, on était déjà samedi soir et ça sent l’ambiance de fin de festival sous la pluie. The Ting Tings commencent leur show tambour battant et arrivent à faire lever les pieds emboués des festivaliers. Mais le set s’essoufle vite et finit arrêté sur le bas-côté, à faire du stop et en se tenant le point de côté. Poni Hoax, le nouveau groupe de Michel Delpech, leur succède et, dans un style similaire à celui d’Adam Kesher la vieille (c’est-à-dire français, monsieur !), surprend. Pourquoi diable, avec des groupes comme ça, la France fait-elle tant de complexes face aux groupes de seconde zone d’outre Manche ? On a l’impression que niveau musique et foot, c’est du pareil au même : Manchester United est toujours meilleur que l’OL mais alors le MUC n’a vraiment rien à envier à Sunderland.

Dernière bonne surprise du festival, les Australiens de Midnight Juggernauts finissent d’user les corps de la foule clairsemée. Il ne reste plus que les derniers des derniers à laisser leurs bras se balancer frénétiquement sur les titres new-ravo-electro-punk du trio, hybride entre Justice, the Klaxons et Robert Palmer…

Bref, c’était bien et tout et je… Mais, tiens c’est pas toi là au stand des galettes-saucisse ?

— Dirty Henry


St-Malo, le 17 août 2008, 4h02

Oui, c’est moi ! Tu veux que je t’en ramène une ?

— Joe Gantdelaine