Boycott ou pas boycott ? La question me tourmente depuis de nombreux mois. Les casseroles au cul de la compétition ne manquent pas1, et elles s’ajoutent à un vase déjà ras depuis Pékin, la Russie ou le Brésil.

Je ne dis pas que la fête sera belle ou que les soirs de match, la bière n’aura pas un arrière-goût un peu merdeux, mais ma décision est prise. Je ne boycotterai pas la compétition.2

Je respecte profondément la décision des boycotteurs, notamment ceux et celles qui, comme moi, sont des passionnés du jeu. Mais je crains que l’impact du boycott sera sans doute limité. Pire, je suis convaincu que parmi les boycotteurs, quelques donneurs de leçon ne se priveront pas de brailler à quel point leur nombril peut avoir bonne conscience, ce qui incitera inévitablement les indifférents ou les hostiles à la cause à tirer la chasse sur leurs bonnes intentions.

Et si la colonne des moins est déjà bien bien bien remplie, il serait maintenant dommage de ne pas grifonner dans la colonne des plus. Été 90, l’Italie accueille la Coupe du Monde. J’ai 8 ans et, en quelques semaines, mon horizon va s’ouvrir jusqu’à ce que Gary Lineker — un Anglais ! — et Roger Milla — un Noir ! — deviennent mes idoles. En tant que simple fan de foot, se priver de Coupe du Monde serait finalement assez facile — depuis longtemps maintenant, le beau jeu se trouve en Champions League3 — mais, en tant qu’humain, on se prive d’un moment difficilement remplaçable, qu’on se déplace sur site ou qu’on reste chez soi.

Dans son roman choral Middle England, Jonathan Coe évoque la fracture qu’a subie l’Angleterre au cours de la décennie passée, débouchant au final sur le Brexit. Sa scène la plus marquante se trouve en début de roman, quand en 2012, tous les protagonistes assistent à la cérémonie d’ouverture des JO de Londres et partagent un sentiment d’unité fraternelle4 que je pensais indescriptible jusqu’à ce que Coe s’y colle.

Dans une veine similaire, voici en V.O. l’intro écrite par Musa Okwonga dans un article où il se demande quelle star se dévoilera au Qatar :

There are very few moments in world history that can unite entire generations in awe. At the head of that very short list, you will find the moon landing. A couple of lines further down, but still on the same page, you will see an athletic feat of rare brilliance: say, Usain Bolt breaking the sound barrier in the Olympic 100-meter final.

Ces moments d’unité, c’est ce dont je ne peux pas me priver quand on a en ligne de mire une union sacrée pour le climat ou des droits de l’homme universellement respectés. Des moments où il n’y a ni gentil, ni méchant, mais juste nous et les autres. Des moments où on trouve la force d’être bras-dessus bras-dessous avec tout le monde et dans le tas, des cons et des salauds. Des lâches aussi. On est peut-être l’un des leurs.

Après la compétition, chacun retournera dans son echo chamber et on pourra veiller au grain du plus jamais ça. Aujourd’hui, et merci bien, le comité exécutif de la FIFA5 a été réformé et le processus de désignation des pays hôtes est un poil plus démocratique. En 2026, la Coupe du Monde aura lieu aux États-Unis, pas exemplaire en termes d’émissions de CO₂ totales et par habitant, qui pourrait alors avoir à sa tête un type comme Donald Trump ou Ron DeSantis. Au final, guetter la voie vers un avenir désirable se joue tous les jours, pas tous les 4 ans.

Lire la version “yes boycott”

  1. Pour faire court et dans l’euphémisme : la note climatique est un peu salée, les conditions de travail et la gestion des accidents du travail mortels pourraient gagner en empathie, et je recommande aux homosexuels ayant un penchant pour l’alcool de ne pas faire le déplacement.

  2. J’écris pour que je puisse me rappeler de mes raisons d’ici quelques années, quand la planète sera à l’agonie et que je me pencherai sur mes choix passés. Cher moi du futur, ce n’est pas la même de m’engueuler, tu es aussi responsable que moi.

  3. On y trouvera tous les ans Mohamed Salah, Erling Haaland et des Italiens.

  4. Auquel n’importe qui qui aura été marqué par cette cérémonie — ce fut mon cas — se joindra au moment de la lecture.

  5. C’est à dire une vingtaine de types dont un nombre suspect d’ex-membres sont accusés de corruption, ou passent vraiment beaucoup de temps à devoir s’en défendre, baignant dans des coïncidences qu’ils auraient bien pu ou dû prendre soin d’éviter. The Guardian vous fait une récap exhaustive en anglais.