C’est trop facile

Si je cite le grand Jacques ici, c’est parce que ça me paraît effectivement trop facile de dire : “de toute façon, ça changera rien !”. Bien sûr qu’à l’échelle individuelle, le cheikh Al Thani se fout bien de savoir si je vais boycotter ou non sa coupe du monde. Bien sûr que ce n’est pas moi qui, seul, vais changer le train des choses, défaire le capitalisme1 et remettre un peu d’ordre dans ce monde de fous. La fable du colibri, hein, on s’en bat le cheikh. Désolé.

Mais justement, le problème c’est l’individualisation. On individualise tous les problèmes de société : “pensez à bien fermer votre robinet”, “achetez plus local”… Sous-entendu “non, nous, à l’échelle du pays, on n’a pas de moyens d’action, ça passe d’abord par chacun d’entre nous ! D’ailleurs, au nom de la compétitivité et de l’emploi, on réfléchit à ouvrir une mine de lithium près de chez vous”. Et, par conséquent, on intériorise que les réponses individuelles sont plus simples, d’où un petit boycott personnel totalement non-pertinent. C’est toujours plus facile que des réponses collectives car, au mieux, on regarderait notre petit groupe dissident d’un œil charmé : “ils ont raison de s’agiter, si personne ne le fait, ça ne bougera jamais !”. Au pire, on va nous targuer de naïfs, d’utopistes, d’inconscients, de mal-éduqués : “de toute façon ça sert à rien votre truc, le système est plus fort que tout !”.

Le parcours du Petit Poucet en coupe de France qui-déjoue-tous-les-pronostics-et-est-un-sacré-trublion-dans-ce-sport-et-démontre-eh-oui-que-l’argent-et-bah-c’est-pas-tout nous met encore un peu en émoi. Émoi à peu près équivalent à celui qu’on a en sirotant notre tasse de thé 1336 : “ces ouvriers FraLib, quand même, quel courage !” Mais, au final, on pense trop perso, dans une société trop fracturée, pour réagir collectivement contre le capitalisme et le capitalisme sportif.

Les joueurs ne sont pas des machines à laver

Si je cite le grand Jacques ici, c’est parce que cet événement, et son positionnement dans le calendrier, me paraît caractéristique du fait que, pour beaucoup d’acteurs du sport (dirigeants de fédération, présidents de club, agents de joueurs, médias), le sportif est une marchandise qu’on s’échange en boursicotant : “je t’échange ce sac à viande de 35 ans contre tes 2 sacs à viande de 20 ans, je te rajoute des droits sur eux pour mes prochains échanges. Tope là ?”. C’est dommage qu’à l’instar des cartes Panini, on puisse pas encore avoir des joueurs en double2, parce que ça décomplexerait encore plus l’affaire. Ce n’est certes pas nouveau, mais là, on atteint, je crois, un sommet de la déconsidération de l’Homme derrière le sportif.

Alors oui, ils ont eu 4 ans pour se préparer, oui, on a adapté les calendriers nationaux, internationaux pour eux et oui, c’est leur métier, ils l’ont choisi après tout. Mais bon, en tant qu’êtres humains, ils doivent avoir j’imagine un rythme bien établi, une vie adaptée aux tempos des entrainements, des matches. La perte de leur routine est délétère si on se fie au nombre de joueurs déclarés blessés en amont de ce Mondial. À moins que ça ne soit qu’une malheureuse coïncidence ?

Bien sûr, l’argument-massue, c’est que c’est pour le bien des footballeurs : “t’imagine si ça s’était passé en été ?”, “déjà que là, ils sont obligés de climatiser les stades”… OK, super ! Mais, au nom de l’inclusion de tous les pays du Monde dans la grande fraternité du sport, est-on obligé d’être cons au point de ne pas se rendre compte que, peut-être, un Mondial ou des jeux d’Asie d’Hiver sur la péninsule arabique en 2029, c’est peut-être un peu pas trop COP-27, 28, 29 ?

Ça m’en touche une sans faire bouger l’autre

Si je cite le grand Jacques ici, c’est parce que ma position est relativement simple à tenir, vu que le foot ben… je crois que je m’en fous maintenant ! Le moment-bascule, j’ai l’impression, c’est le départ de Thierry Henry et/ou d’Arsène Wenger d’Arsenal.

Arsenal, à l’époque, quel club ! On nous racontait l’histoire d’un effectif construit chichement, on imaginait Arsène compter chaque sou pour optimiser son recrutement et tenter de rivaliser contre les grosses artilleries sur-friquées anglaises et européennes. Les confrontations Arsenal-Man U, ça, c’était quelque chose ! Olivier Atton contre Mark Landers (au choix Wayne Rooney ou Cristiano Ronaldo) ou contre les frères Derrick (Gary et Phil). Et puis, tout est parti en sucette, Highbury est devenu l’Emirates Stadium et Man City a arrêté d’être un club de ploucs. Bref, j’ai perdu tous mes repères.

Donc effectivement, je n’ai aucun mal à boycotter quelque chose que je n’aime pas/plus. Oui, mais alors : “Et si on te disait que la prochaine saison de NBA se délocalisait en Chine dans des salles construites par des esclaves Ouïghours, tu ferais quoi ?” Écoutez, merci pour d’avoir posé votre question, je vous promets d’y réfléchir et d’y répondre dans les plus brefs délais… en attendant, Let’s Go Warriors !

Lire la version “no boycott”

  1. je précise que, pour tout cet article, ma notion de capitalisme regroupe pêle-mêle, la loi de l’offre et du marché, celle de l’argent roi et des dérives politico-industrialo-népotismo-dégueues plutôt fréquentes désormais

  2. Raël, qu’est-ce que tu fous ?