Dans un monde qui manque tellement d’unité, comment ne pas s’émouvoir quand Laurent Chalumeau, Vincent Delerm et Johnny Hallyday font corps ?

Delerm émeut Chalumeau

Ça commence avec un post Instagram de Laurent Chalumeau1. Bien que Vincent Delerm ne fasse pas partie de ses petits papiers, il avoue avoir été séduit par sa reprise de Que je t’aime lors de la récente cérémonie d’ouverture du Festival de Cannes 2022.

Alors bien sûr, on va voir. Et effectivement, c’est beau. C’est très beau.

Mais attention le son ne suffit pas, il faut aussi regarder la vidéo. Les images projetées en fond de scène font partie du truc.

Regardez, puis lisez ce que raconte Chalumeau, que je cite in extenso ici, qui est touchant et poilant à la fois, la marque des grands :

Vincent Delerm, je ne saurais pas être pour, mais je n’ai sûrement rien contre. Des gens que je chéris l’adorent. Perso, je pourrais faire long sur les mérites respectifs de Waylon et Willie2, mais là, ça opère tellement, mais tellement loin de mes critères et goûts, mon avis, dussé-je en avoir un, vaudrait celui que j’aurais si je devais juger le patinage artistique.

L’autre soir, à la cérémonie d’ouverture de Cannes, il y a eu un grand « moment Lindon ». Un duplex dont tu ne sais s’il est scabreux ou historique avec l’Ukrainien. Et puis, sans crier gare, sans doute parce qu’un mec de la prod avait pris des substances et soumis le truc en réu à d’autres qui ont dit oui, Vincent Delerm seul au piano tenta de faire reprendre en chœur à la moins généreuse salle de l’univers le refrain de, ‘crochez-vous, Que je t’aime. C’est kamoulox d’or, mais je dois dire que, contre-intuitivement, l’instant sut m’émouvoir.

Le garçon étant fait pour gérer Que je t’aime comme moi grimper l’Everest avec des palmes aux pieds et menotté dans le dos, la chanson était nue, pire que ça, passée à l’IRM. La mélodie, rognée par ce que Boris Vian, lui même vocalement challengé, appelait une voix d’auteur, tout reposait sur le texte, de ce fait magnifié comme jamais. On le doit à Gilles Thibaut, trompettiste de formation et sans doute l’un des plus colossaux paroliers de l’histoire de la chanson française. Pas loin de cent titres, dont Comme d’habitude (My way, donc), Ma gueule et, disions-nous, Que je t’aime, l’un des plus beaux exemples d’art modeste qui soient3. Ces vers, cent fois moqués pour les insensés premiers degrés qu’ils osent, en sortent chaque fois grandis. Quand on rit de « l’oreiller champ de blé » ou du « corps cheval mort », c’est comme quand on pastiche Hugo. Un remède au vertige que nous donne le Sublime. Vincent Delerm sut se faire tout petit devant ce classique sacré. Et cette humilité de bon aloi l’honore. Je comprends que des gens que j’aime l’aiment tant. La séquence est en ligne. Enjoy. Et prenez soin de vous.

Delerm agace Manœuvre

Pour l’anecdote, je trouve plutôt cocasse de voir qu’un auteur que j’apprécie tout particulièrement — Chalumeau donc — se retrouve à comprendre que les gens aiment Delerm quand moi-même, figurez-vous, fut publié dans Rock&Folk — là même où Chalumeau fit ses armes dans les années 80 — pour défendre le même Delerm.

C’était en juin 2004. Mon ami Joe Gantdelaine m’avait accueilli à la gare de Bordeaux d’un cinglant : “Dis-donc, t’as regardé le nouveau Rock&Folk ? Il est un peu fait pour toi dé !” Et voilà donc les Pixies en couv’, Graham Coxon disque du mois, et Bibi publié dans le courier des lecteurs.

Voilà ledit courier. C’est mal écrit mais j’ai gagné un CD de Johnny Cash grâce à ça.

Eudeline et Manœuvre ont un mérite : avoir créé un folklore dans le monde de la musique en France, grâce à leur duo d’anciens combattants, qui rappelle parfois le meilleur du génie comique des Vamps, adapté au rock’n’roll. Et comme dans tous les duos, chacun son rôle. Patrick est l’extrémiste, le mec qu’a vu des trucs qu’on n’aimerait vraiment pas voir, le gars qui ne peut pas exister pour de vrai, celui qui brûle la chandelle par les deux bouts, celui qui ne se lave pas les cheveux avant de passer à la télé. Philippe, lui, est la caution morale du duo, celui qui met de l’eau dans son vin, admire Britney Spears, sauve Brown Sugar dans la discographie des Stones, celui qui met un pyjama avant de se coucher et joue au golf. À eux deux, ils forment un duo à l’équilibre sûr. Mais récemment, un dérapage a eu lieu. Un samedi midi, Daphné Roullier me montre le zapping dans lequel figure Patrick qui, égal à lui-même, se réjouit de la haute consommation de cannabis chez les ados français sur le plateau de LCI. Ah, excellent Patrick, tu les a bien eus. Bon, pour compenser cet écart, faudrait que Philippe avoue qu’il pense que Les Victoires De La Musique remportées par Kyo l’ont réjoui. Mais-là, l’horreur a lieu, je lis une intervention de Philippe dans le magazine Epok : “Vincent Delerm, c’est ce qu’il y a de pire, c’est l’abomination ultime avec Sanseverino, Bénabar et Biolay4.” Dans la bouche d’Eudeline, j’aurais ri aux éclats d’un avis aussi tranché, simpliste, prévisible et injuste. Dans celle de Manœuvre, c’est le malaise. J’ai la même impression que si ma grand-mère venait à me jeter à la gueule, alors que je lui demande de bien me passer le beurre, qu’elle n’aime pas Franz Ferdinand. Je ne veux pas que ma grand-mère me donne son opinion sur Franz Ferdinand. Je me doute que ce n’est pas son truc, alors je la respecte pour son silence, même si elle n’en pense pas moins. Je préfère qu’elle me fasse du farz, par exemple. Déjà la critique de l’album de Cali (mauvaise évidemment) dans un numéro passé de Rock&Folk m’avait titillé : que foutait-elle là ? On n’achète pas Rock&Folk pour avoir une critique du disque de Cali. On veut simplement savoir si Philippe Vandel préfère les Stones ou les Beatles. Philippe, tu as merdé. La prochaine fois qu’on te demande ton avis sur le nouvel album de Biolay, reste dans ton domaine. Tu pourras toujours répondre à la journaliste qui t’aura posé cette question que finalement, les Byrds n’ont pas eu la carrière qu’ils méritaient. Et l’équilibre perdurera jusqu’à ce qu’Eudeline s’avoue fan du vrai punk de Plastic Bertrand.

La réponse de Rock&Folk :

Combattants oui, anciens d’accord, anciens combattants jamais ! Ça va ?

  1. En ce qui me concerne, les deux seules bonnes raisons de rester sur Instagram sont les comptes de Laurent Chalumeau et de Nicolas Mathieu.

  2. Pour faire les sous-titres, je crois bien que Chalumeau parle ici de Waylon Jennings et Willie Nelson.

  3. NDLR, Gilles Thibaut a aussi écrit pour Sardou. Arrivera-t-on à faire un post qui parle de Chalumeau sans parler de Sardou ?

  4. NDLR, Biolay qui d’ailleurs apparaît brièvement dans le public de Cannes dans la vidéo de Delerm 🤯.