5ème album (environ, si on excepte les bandes originales de film et les disques avec ses ex) de Benjamin Biolay, La Superbe porte parfaitement son nom. Et malgré les premières impressions (double album, c’est un de trop, non ? 23 titres, c’est 10 de trop, non ?), aucune indigestion n’est finalement à prévoir.

Comme à chaque livraison du bonhomme depuis Négatif, on est toujours fébrile avant la première écoute d’un nouvel album de Benjamin Biolay (pour Rose Kennedy, on ne pouvait être fébrile, puisqu’on découvrait l’artiste…). Le garçon ayant l’art de se renouveler, flirtant parfois avec le mauvais goût, il finira bien par nous pondre un truc complètement nul un jour ou l’autre. Et cette fois-ci, on est d’autant plus fébrile que Trash Yéyé se révéla légèrement en dessous de À L’Origine. Et quand en plus, on sait que l’album est double, il n’en faut pas plus pour qu’une goutte de sueur nous coule le long du dos…

En effet, comment est-il encore décemment possible de sortir des double albums, quand on nous rebat les oreilles avec “la crise du disque” ? Mais surtout, comment proposer deux galettes dans la même boîte, quand on connaît les (plus ou moins) malheureuses tentatives qui ont émaillé l’histoire de la musique ? Toujours le risque de diluer la qualité, de s’éparpiller dans des choses sans intérêt, de perdre la cohérence que peut avoir un album “classique”.

Ce constat fait, intéressons-nous donc à La Superbe. Concernant “la cohérence”, pas grand chose à dire. BB, sans verser dans le concept album, propose une succession de titres autour d’un thème, certes peu original, mais qui supporte bien qu’on en parle pendant un peu plus d’une heure et demie : l’amour. Avec plusieurs variantes : l’amour débutant/finissant, l’amour filial, l’amour passion. Cela fonctionne d’autant mieux qu’on sent l’artiste proche de ce qu’il décrit. Pour la forme, on remarquera l’intelligente épanadiplose 15 août/15 septembre, sous forme d’échange épistolaire, qui renforce l’impression de grand ensemble global.

Pour “l’éparpillement dans des choses sans intérêt”, force est de constater qu’au contraire, les temps faibles sont rares pendant ces 23 morceaux. Alors certes, les temps faibles sont vraiment faibles : que ce soit Miss Catastrophe, dont un saxo baveux et des paroles bancales font rapidement appuyer sur “next”, La Toxicomanie et son faux jazz à la cool digne des chansons oubliables du Gainsbourg des débuts ou Buenos Aires et son refrain trop péchu pour être honnête, on n’était pas habitué à des titres si mauvais dans l’œuvre de Benjamin Biolay. Mais pour le reste, on ne peut qu’être ébahi devant la variété des genres abordés avec brio : la pop symphonique de La Superbe, le slam mélodique de Brandt Rhapsodie, les arrangements très eighties de Prenons Le Large, la technoïde Assez Parlé De Moi ou la Coralieclémentesque Tu Es Mon Amour.

On l’aura compris, “le risque de diluer la qualité” a été parfaitement évité ici. On ressent un soin de chaque instant dans la production, une réflexion sur chaque morceau, bref, un travail de longue haleine. Ce ne peut être le genre d’album torché en 2 soirées de vague à l’âme, entre bouteille de Jack Daniel’s et roulée de marocaine.

Il paraît fastidieux d’énumérer tous les temps forts de l’album, mais tout de même, il faut citer la montée en puissance dans la faussement simple Ton héritage, la chair de poule provoquée par les trois mots : “Je suis enceinte” (ou plutôt par le silence qui les suit) de Brandt Rhapsodie, les rythmes entêtants de Si Tu Suis Mon Regard ou Lyon Presqu’île. Ce ne sont là que quelques exemples. De même, on ne peut que s’enthousiasmer face aux très beaux textes distillés ici (excepté, on l’a déjà dit, pour Miss Catastrophe et La Toxicomanie). Aucune fioriture dans le fond, Biolay va à l’essentiel, appuie là où ça fait mal, mais toujours avec un souci exacerbé pour la forme.

Bref, pour conclure, n’ayons pas peur de nous emballer un peu, et écrivons-le haut et fort : ce disque est un chef-d’œuvre et mérite, pour l’instant, sa place au sommet de notre podium 2009.